Yoann Bourgeois (vous pouvez visiter son compte instagram ici : https://www.instagram.com/yoann_bourgeois/?hl=fr) est un artiste inclassable, mondialement reconnu et dont les spectacles nous enivrent avec une poésie infinie. Focus sur ce chorégraphe / danseur / circassien / acrobate.
A y regarder de près, les créations de Yoann Bourgeois s’inscrivent inexorablement dans un tout, une œuvre globale dont le fil conducteur semble être une recherche introspective de l’équilibre, une décomposition méthodique, acharnée, des figures classiques du répertoire circassien. Ouvertement personnelles, les créations du chorégraphe français peuvent être comparées à une constellation poétique, qui constitue la base des spectacles grands formats dont il délecte le public, mais aussi des nombreuses collaborations avec d’autres disciplines artistiques, autant de cloisons qu’il brise allègrement pour fusionner avec les univers du cinéma, de la musique et du numérique.
Ses premières créations
C’est sous thème que Yoann Bourgeois signera sa première création artistique. Son titre ? Cavale, une représentation qui lui a été commandée en 2010 par la Scène nationale de Grenoble, la MC2. Le spectacle prend place en plein air, marquant déjà une certaine accointance avec la liberté créative propre au nouveau cirque. Ainsi, c’est sur le belvédère Vauban qui surplombe Grenoble de Yoann Bourgeois choisira d’installer sa scène. En toile de fond, la montagne. Sur scène, un escalier et un trampoline. Avec son compère, Bourgeois tente une fugue, essaye de prendre de la hauteur. A chaque fois que les deux artistes semblent atteindre le sommet de l’escalier, ils tombent, rebondissant sur le trampoline pour revenir à leur point de départ. Et s’ils n’arrivaient au sommet que pour chuter ?
L’expérience scénique est pour le moins intense. L’altitude et la vue panoramique y contribuent certainement, entre vertige et sensation d’apesanteur. Yoann Bourgeois est à la poursuite de ce point d’apesanteur au sommet d’une trajectoire. C’est Cavale qui posera les bases de la « signature Bourgeois » : transformer les figures du répertoire acrobatique en motifs poétiques. Cette performance participera également à la définition de l’horizon de l’artiste. L’objectif de Yoann Bourgeois : créer une poésie en implantant ses scénographies in situ, de sorte à ce que chaque changement de décor, d’architecture ou de paysage redonne une nouvelle dimension à l’œuvre, ouvre la voie à une nouvelle lecture, et réciproquement.
Dans Cavale, Yoann Bourgeois a installé un escalier qui mène dans le vide. Un escalier qui l’accompagne depuis l’une de ses premières miniatures : Fugue / Trampoline. D’une durée de 8 minutes, cet impromptu solo explorait déjà la musicalité du geste et, comme une obsession, l’élan rattrapé de la chute et son élan suggestif. Le tout est bercé par une musique de Philip Glass. A ce jour, l’artiste continue, entre répétitions et variations, à explorer cet objet scénique qui lança sa recherche créative. C’est ainsi qu’il crée de nombreuses miniatures qu’il appelle Fugues entre 2008 et 2011. Invariablement, une personne entre en relation avec un objet. Parfois une balle, parfois un trampoline… Quel que soit l’objet, la tentation est la même : définir le rapport du corps à la gravité.
Ses grands formats
L’heure des grands formats sonne en 2011, année à laquelle Yoann Bourgeois associe, encore, toujours, inlassablement, un escalier et un trampoline. Sa première grande forme sera baptisée L’Art de la Fugue, un spectacle qui, malgré sa complexité, connaît un succès sans précédent. C’est L’Art de la Fugue qui fera de Yoann Bourgeois le grand auteur de la scène qu’il continue d’être aujourd’hui, quelle que soit la discipline.
Dans ce grand format, Yoann Bourgeois par de la composition éponyme de Bach (L’Art de la Fugue) pour explorer deux thèmes qui lui tiennent à cœur : la structure et la partition. Son inspiration, il la cherchera dans le modèle du contrepoint musical. Dans ce contrepoint, aucune hiérarchie n’existe entre les différentes voix qui s’élèvent, se superposent. Idem pour les motifs, se déclinant inlassablement en variations, apparaissant et disparaissant à souhait. Sur scène, Bourgeois installe un cube de bois qu’on ne peut ignorer, tellement il est imposant. Il se décompose par petits morceaux, mue, puis s’épanche dans l’espace scénique. Le cube n’est pas « innocent »… Depuis qu’il a été créé par le scénographe constructiviste moderne et ludique Goury, le cube est devenu le partenaire de jeu favori de Yoann Bourgeois et Marie Fonte. Dans L’Art de la Fugue, Yoann Bourgeois réussit à transcender l’univers du cirque, en créant un nouveau langage circassien. Son alphabet ? Un théâtre tout en chorégraphie, où la parole n’a pas sa place. La métaphore de la condition humaine y est omniprésente.
Une année après L’Art de la Fugue, Yoann Bourgeois plie bagages, direction la Chine. Il y est invité en 2012 pour créer un spectacle en collaboration avec des acrobates de l’école d’art de Dalian. C’est ainsi que naît Wu-Wei, une création dans laquelle l’artiste explore les origines de l’acrobatie, tout en expérimentant le wu-wei, qu’on pourrait traduire par « non-agir ». Principe taoïste, le wu-wei fait écho au concept de « non-manipulation », une recherche constante de l’harmonie naturelle et de l’équilibre entre les forces. Chez Yoann Bourgeois, le concept de « non-manipulation » traduit aussi l’exposition du corps actif aux effets de la gravité.
En 2014, Yoann Bourgeois présente un nouveau grand format pour la scène, à l’heure où s’attelle à développer les formes mobiles qu’il appelle dispositifs. Celui qui tombe est une parabole. Une parabole de la quête existentielle qui nous anime dans un monde imprévisible, résonnant avec la réflexion sur wu-wei. Place donc à un vaste plancher suspendu, où une poignée d’humains reclus luttent sans relâche pour ne pas chuter, victimes des oscillations inlassables du sol. Les mouvements sont brusques, continus, capricieux. Les hommes et les femmes qui y sont soumis réagissent aux incertitudes qui les guettent et inventent leur équilibre au présent. Ils se contenteront d’un équilibre précaire, éphémère. Ils se contenteront d’une stabilité passagère, en attendant les prochaines oscillations du sol sous leurs pieds et des caprices de la machinerie.
Et puis ils devront apprendre à composer les uns avec les autres, faisant fi de leurs différences car confrontés à la même urgence de la quête de l’équilibre. Dans Celui qui tombe, Yoann Bourgeois franchit un nouveau palier, dans lequel l’artiste mettra en jeu l’ « acteur-vecteur » mu par la force centrifuge. Le tout prend son origine sur les mouvements basiques des disciplines de cirque (rebond, ballant et oscillation), appliqués à un radeau instable, soulignant une approche singulière de l’agrès circassien.
Yoann Bourgeois : explorateur inlassable d’un monde rempli de poésie
Celui qui tombe est un immense succès. Malgré cela, Yoann Bourgeois recrée des miniatures, qu’il pense être le cœur de son travail. A ce propos, il explique : « A mes débuts, j’avais une façon de penser classique. Je voulais atteindre le format de spectacle d’une ou deux heures. Je considérais les formes courtes comme des études ou des résidus. Puis je me suis rendu compte que ces esquisses sont le cœur de mon travail. Je veux jouer partout, y compris dans des lieux non dédiés au spectacle, pour me confronter à l’altérité de l’environnement comme à une contrainte qui m’oblige à être créatif et pour rencontrer différents publics. Je cherche un langage populaire, universel, pour que mes créations puissent tenir partout, sans l’échaudage culturel ». Ce sera désormais le champ d’investigation de Yoann Bourgeois…
Une nouvelle terminologie voit le jour, née de l’esprit de Yoann Bourgeois. Elle inclut un concept de constellation, mais sous un titre générique : Tentatives d’approches d’un point de suspension. Les dispositifs partent d’un même point commun, une forme minuscule qui n’est autre que le numéro de cirque. Objectif : faire le lien avec la tradition populaire. « J’ai choisi de réinvestir cette forme, dont la singulière économie présente de nombreuses spécificités. Le numéro est la forme courte par excellence. On a souvent mentionné une durée qui avoisinerait 8 minutes, mais cela ne veut rien dire. Le numéro est un condensé. C’est la réduction maximale d’une forme qui atteint sa plus grande intensité », explique Yoann Bourgeois. La constellation se décline en plusieurs modules, dans une géométrie variable d’installations circassiennes, chaque fois adaptées aux spécificités du site.
Yoann Bourgeois a d’ailleurs investi le Panthéon en octobre 2017 avec ses formats courts, mais aussi les scènes de théâtres avec son spectacle Minuit.
Un autre palier est franchi en 2020, année à laquelle Yoann Bourgeois signe un manifeste que d’aucun ne manquera de qualifier de poétique, épilogue de cette recherche infinie qu’il choisit d’intituler Les Paroles impossibles. Dans paroles impossibles, le poète Yoann Bourgeois incarne un personnage qui essaye, tant bien que mal, de prendre la parole en public. Les échecs se suivent et se ressemblent, le corps prenant la place de la langue pour raconter le vertige de ces échecs qui ne semblent pas prendre fin.
L’artiste s’attelle aussi à décliner la suspension par le biais de nouvelles formes expériencielles et participatives résolument innovantes. De ces expérimentations, naîtra Démocratie en 2021, invitant des amateurs à se mettre en quête de l’équilibre en groupe sur une surface en équilibre. L’objet de cette nouvelle proposition qualifiée d’éthique est de montrer à quel point nous sommes en interaction permanente les uns avec les autres.
Sortir de sa zone de confort semble être la marque de fabrique de Yoann Bourgeois. Créateur en questionnement permanent, il se déplace constamment pour continuer à questionner le point de suspension. Il s’aventure donc ailleurs, s’en va explorer d’autres champs, sort de l’habituel, de l’usuel, du déjà-vu… Son objectif, son obsession semble être ce même point de suspension avec, en toile de fond, une résistance de cette exigence du présent absolu au rythme frénétique de notre époque. Yoann Bourgeois aime à dire que « L’art vivant a une responsabilité éthique d’ordre existentialiste. C’est un combat que l’on n’a jamais fini de mener, qui dit cette joie simple d’être au monde et de faire. Le vivant, c’est ce dont on n’a jamais fini de faire le tour ». Il apparaît clair que l’artiste est un adepte du moment présent. Il revendique une certaine audace de vivre le moment, sans autre attente. La seule attente tolérée ? Embrasser le vivant, quelle que soit sa facette.
A partir de là, Yoann Bourgeois s’en ira expérimenter son élan créatif et son imagination dans des espaces qui lui étaient alors inconnus. C’est ainsi qu’il invente un culbuto humain au défilé d’hermès en 2018 à Shanghai. En plus de l’univers de la mode, il explorera également celui de la musique, en présentant Minuit / Dream in My Head dans un concert de la chanteuse Yael Naim à la Philharmonie de Paris la même année.
En 2019, il fait encore plus fort en concevant un immense toboggan s’abattant comme une vague noire sur le plateau de la Seine Musicale avec L’Insula Orchestra, à l’occasion de la mise en scène du Requiem de Mozart. Yoann Bourgeois ne s’arrêtera pas là, puisqu’il s’associera à de grandes compagnies de danses internationales. Il signera deux créations dans cet univers, la première étant Little Song en 2019 et I wonder where the dreams I don’t remember go en 2020 pour le Nederland Dans Theater.
La seconde création sera pour le compte du Göteborgs Operans Danskompani, baptisée Hurricane. En parallèle, l’artiste construit un lien avec les arts visuels. C’est ainsi qu’il signe une adaptation participative en VR (réalité virtuelle) de Fugue / Trampoline, avec le concepteur de cinéma virtuel Michel Reilhac, baptisée Fugue / VR.
NDLR : Yoann Bourgeois connaît également un grand succès en exprimant sa poésie dans sa pièce Passants présentée à la biennale de la danse de Lyon en 2018.
Bibliographie
Portrait de Yoann Bourgeois
Artcena – La constellation de Yoann Bourgeois
Yoann Bourgeois : acrobate, metteur en scène et chorégraphe
Artcena – Le dispositif Yoann Bourgeois
LeFigaro – Yoann Bourgeois, jeux, scènes et marches
TheConversation – Yoann Bourgeois dans l’oeil d’un physicien
NouvelObs – Yoann Bourgeois bel artiste fugueur